Un article de NOLWENN WEILER et SOPHIE CHAPELLE Paru sur Basta ! sous le titre : Pesticides : le changement, c’est pour quand ?
Dans le service pédiatrique qu’il dirige, au CHU de Montpellier, le professeur Charles Sultan constate tous les jours les effets dévastateurs des pesticides perturbateurs endocriniens. Ces molécules sont particulièrement redoutables pour les fœtus. « Chez les petits garçons, cela provoque notamment des malformations des organes sexuels. Chez les petites filles, on note une puberté précoce. Au-delà des problèmes psychologiques et sociétaux que cela pose, on sait que c’est un facteur de risque de cancer du sein », détaille le médecin. Les enfants d’agriculteurs sont particulièrement touchés. 28 % des nouveau-nés présentant une malformation génitale sont issus d’une famille d’agriculteurs alors que cette proportion descend à 14 % chez les autres, révèle une étude que le médecin a menée en 2002 sur plus de 2000 naissances. Des résultats confirmés par une deuxième étude en 2011 [1], dans un contexte où les agriculteurs commencent à se battre pour faire reconnaître le caractère professionnel de leurs maladies, après une longue omerta.
Depuis plus de dix ans, Charles Sultan alerte ses collègues et les responsables politiques sur le danger de ces perturbateurs endocriniens. Les effets sanitaires des pesticides auxquels sont exposé les fœtus ne se voient pas nécessairement à la naissance, ni même au cours de l’enfance ou de l’adolescence. Les problèmes peuvent surgir 20, 30 ou 40 ans après l’exposition. « Des effets transgénérationnels ont par ailleurs été récemment mis en évidence », précise Charles Sultan. Intervenant dans un congrès organisé au Sénat le 23 mars dernier par l’association Générations futures, il a lancé un cri d’alarme et appelé la France, premier consommateur européen avec 65 000 tonnes pulvérisées chaque année, à « une sortie des pesticides ». Le défi pourrait être relevé, à condition que le pays se prépare à une révolution agricole majeure.
1. Sortir des laboratoires pour sélectionner les plantes
« Il est très difficile, avec les variétés utilisées aujourd’hui en agriculture de se passer de pesticides », dépolore Marc Dufumier, agronome et professeur à l’Institut des sciences et industries du vivant et de l’environnement (agroParisTech). Les plantes d’aujourd’hui sont sélectionnées en laboratoire, loin des réalités des champs et des agressions du climat. « Elles ont des hauts potentiels de rendement, mais dans des écosystèmes très simplifiés, sans chenilles, sans champignons, sans acariens, etc. » La sélection génétique de ces plantes s’est faite très rapidement, dans la France d’après-guerre, à l’opposé de ce qui se pratiquait depuis des siècles en agriculture : « Les agriculteurs cherchaient leurs semences dans leurs propres champs. Ils prenaient les meilleures à chaque fois. Ils étaient les maîtres de leur sélection. Et la plante était adaptée, au fil des années et des siècles, à son environnement. »
Pour pouvoir cohabiter avec des insectes piqueurs-suceurs, elles s’étaient, par exemple, parées de poils. Tandis que leurs voisines, qui avaient à se protéger des chenilles, n’en avaient surtout pas, puisque cela aurait été l’endroit idéal pour pondre des œufs. Tout cela parfois au sein d’une même parcelle. Avoir des variétés paysannes multiples et extrêmement diversifiées, sur un même terroir, est une étape importante pour sortir des pesticides. Qui s’accommode mal avec la loi votée par nos députés en novembre dernier sur le certificat d’obtention végétale, qui supprime le droit de ressemer librement sa propre récolte sans verser de taxe.