La société civile a eu l’occasion de prendre part aux discussions relatives à la mise en oeuvre d’un registre belge des nanomatériaux. Pour les autorités fédérales, ce registre a pour objectif, notamment, d’assurer la traçabilité des nanomatériaux. Pour cela, le registre doit garantir la transparence envers la société de manière générale et envers les travailleurs. La présidence belge de l’UE recommandait d’ailleurs en 2010 aux Etats membres de légiférer en la matière.
En tant qu’associations membres de la société civile, nous accueillons très favorablement l’objectif poursuivi par le projet d’arrêté royal en ce qu’il permet d’obtenir à certains égards la traçabilité et l’enregistrement des substances manufacturées à l’état nanoparticulaire. La traçabilité est importante au vu des nombreuses incertitudes qui existent quant aux risques de ces matériaux. Et les citoyens ont le droit de connaitre les expositions qu’ils subissent dans le cadre de leur activité professionnelle, ce qu’ils achètent, ce qu’ils consomment et de quelle manière leurs choix affectent, ou non, la société et l’environnement.
Cependant, certains points restent extrêmement préoccupants et amoindrissent fortement l’objectif poursuivi par le projet d’arrêté royal ; notamment en ce qui concerne son champ d’application et ses exclusions, la protection et l’information des travailleurs et la diffusion de l’information vers le grand public.
1. Le champ d’application
Nous sommes excessivement interpellés par l’exclusion de certains types de nanomatériaux, tels que les pigments et les nanomatériaux de remplissage, sans qu’aucune information ne soit disponible quant aux possibilités que leur utilisation entraine une exposition de l’être humain ou de l’environnement et donc également en l’absence d’information quant aux risques qui pourraient être associés à cette exposition.
De notre point de vue, il ne devrait pas être possible d’exclure un nanomatériau du champ d’application du registre à moins qu’une des conditions suivantes ne soit remplie :
- l’existence d’une régulation requérant l’enregistrement de données similaires à celles prévues dans le projet d’arrêté royal, données auxquelles l’Administration fédérale doit avoir un accès aisé ;
- la disponibilité de données attestant de l’absence de danger d’un nanomatériau pour la santé humaine ou l’environnement et, ce, sur l’ensemble du cycle de vie du produit ;
- la disponibilité de données attestant de l’absence d’exposition de l’être humain ou de l’environnement à un nanomatériau et ce sur l’ensemble du cycle de vie du produit.
- Si une dispense d’enregistrement de certains nanomatériaux devait être envisagée, elle ne doit l’être que sur base des critères repris ci-dessus et pour autant que les informations requises aient été fournies à l’Administration fédérale et vérifiées par celle-ci avant l’entrée en vigueur du registre.
Plusieurs conseils d’avis ont exprimé leur point de vue au Gouvernement quant au projet d’arrêté.(1) Le Conseil supérieur de la santé a également remis un avis, mais celui-ci n’est pas accessible. Ce point de vue devrait pouvoir éclairer l’analyse de l’ensemble des parties concernées par ce projet de registre avant adoption formelle de celui-ci par le Gouvernement. Il est dès lors également impératif que nous puissions avoir connaissance du contenu de l’avis rendu par la Conseil supérieur de la Santé sur ce point avant que celui-ci ne soit publié.
2. La protection des travailleurs
Le projet d’arrêté royal ne prévoit ni l’enregistrement des travailleurs exposés aux nanomatériaux, ni l’information pour ceux-ci. L’information aux travailleurs est un aspect essentiel qui a été relevé par l’ensemble des Conseils.
La protection des travailleurs contre les risques potentiels d’une exposition aux nanomatériaux est pourtant cruciale. Vu l’expansion du marché des nanomatériaux, l’augmentation des activités de recherches et développement, les travailleurs sont de plus en plus souvent exposés, et à des concentrations de plus en plus importantes.
La réglementation actuelle, notamment l’obligation pour l’employeur d’effectuer des analyses de risques et de mettre en place une politique de prévention, s’avère inefficace. Une des raisons est le manque total d’information sur la présence de nanomatériaux dans les entreprises, leurs propriétés, les risques particuliers liés à leur échelle nanoscopique, leurs utilisations et les scénarios d’expositions dans les entreprises.
Les informations collectées dans le cadre du registre proposé peuvent améliorer de manière significative la protection et l’information des travailleurs. Certaines conditions doivent néanmoins être assurées. Dans l’avis 1870 du Conseil National du Travail du 22 octobre 2013, nous avons formulé, avec les organisations représentatives des employeurs, des propositions concrètes pour garantir la diffusion de l’information à tous les stades de la chaîne de production :
- enregistrement dans les fiches de données de sécurité de toutes les informations relatives aux substances chimiques présentes sous leur forme nanométrique ;
- information des représentants des travailleurs via le comité de prévention et protection au travail (ou la délégation syndicale ou les travailleurs eux-mêmes) sur l’enregistrement d’une substance ou d’un article qui contient des substances enregistrées et avec lesquelles les travailleurs peuvent entrer en contact ;
- accès du Service Public Fédéral Emploi, Travail et Concertation Sociale aux informations du registre pour assurer la surveillance de la protection des travailleurs et, en cas de nécessité, prendre des mesures de prévention.
3. L’information au grand public
Nous devrions tous avoir accès à des informations transparentes et complètes sur les nanomatériaux et les produits qui en contiennent. A l’heure actuelle, les consommateurs n’ont aucune idée des produits qui contiennent des nanomatériaux, et l’industrie ne veut donner aucune information claire. Si le projet d’arrêté royal contient des dispositions pour protéger la confidentialité des données des entreprises, il ne prévoit aucune disposition pour assurer l’information des consommateurs quant aux produits qui seront repris dans le registre, et qui donc contiennent des nanomatériaux.
En vous remerciant pour votre attention, nous prions d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de nos salutations respectueuses.
Lettre ouverte de la société civile sur le projet d’Arrêté Royal relatif à la mise sur le marché des substances manufacturées à l’état nanoparticulaire.
Organisation signataires :
- IEW : Valérie Xhonneux
- OIVO-CRIOC : Rob Buurman
- FGTB-ABVV : Caroline Verdoot
- CSC-ACV : Kris Van Eyck
- CGSLB-ACLVB : Diana Van Oudenhoven
- BBL : Jeroen Gillabel
- Gezinsbond : Danielle van Kalmthout