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Et l’aspect social ? - Comprendre
La santé demeure scandaleusement un luxe
- 8 avril 2011

Les inégalités de santé se sont aggravées : l’amélioration ne bénéficie pas aux plus démunis. Il y a urgence à mettre en place des mesures structurelles et spécifiques pour la santé des plus pauvres. Une opinion de Pierre VERBEEREN, Directeur général de Médecins du monde.

Source : lalibre.be Opinion

Paris, place du Palais royal, à deux pas du Louvre, ce jeudi 7 avril, des limousines-ambulances transportent brancards et médecins. Des médicaments, des stéthoscopes et des vaccins sont présentés sous vitrines blindées, des sociétés d’assurance vendent des cartes SIS Gold ou Platinium. A l’occasion de la Journée mondiale de la santé (et à Paris parce que la France préside le G20 qui se penche actuellement sur les mécanismes de protection sociale), Médecins du monde met en scène tous les codes du luxe et de l’exclusivité, certes de façon provocante mais surtout réaliste, afin de rappeler que la santé demeure scandaleusement un luxe.

Pourtant, une analyse globale laisserait entendre que des progrès gigantesques ont été réalisés en médecine ces vingt dernières années, en Belgique comme dans le monde. Ces progrès sont indiscutables mais les plus pauvres n’en bénéficient pas. Pour eux, le bilan est amer, parce que les inégalités de santé, elles, se sont aggravées : l’amélioration ne bénéficie pas aux plus démunis. Si la mortalité infantile a diminué d’un tiers en vingt ans, un enfant africain sur 8 meurt avant l’âge de 5 ans pour un enfant européen sur 167. Chaque jour, près de 1 000 femmes décèdent suite à des complications liées à la grossesse ou à l’accouchement. Sur ces 1 000 femmes, 570 vivent en Afrique sub-saharienne, 300 en Asie du Sud et cinq seulement au sein de pays riches. Sur un territoire comme le Mali, où Médecins du monde Belgique déploie sa mission la plus importante, on recense moins d’un médecin pour 10 000 habitants alors qu’ici, on en compte 30 fois plus. Les dépenses de santé entre les pays les plus pauvres et les pays les plus riches varient de 1 à 1 000. Ce que nous voulons dire à travers ces chiffres est simple et dramatique : « Ceux qui ont le plus besoin de soin en sont les plus exclus. »

Ce constat, nous le faisons partout dans le monde. Partout veut dire chez nous aussi. En Belgique, les familles qui logent à sept dans un deux pièces, les personnes qui dorment à la rue, les enfants qui vivent à côté de ce qu’il nous reste d’industrie, les femmes enceintes qui parlent berbère ou lingala, les travailleurs du sexe, les personnes souffrant d’une dépendance bénéficient largement moins des services de santé que la moyenne. Le docteur Luc Berghmans de l’ULB rappelait, il y a un an, quelques chiffres édifiants : 20 % des adultes diplômés de l’enseignement primaire déclarent souffrir d’au moins deux maladies chroniques, ils ne sont que 5 % si diplômés de l’enseignement supérieur. Idem pour la dépression, elle touche 17 % des personnes moins favorisées et 6 % des plus favorisées en Wallonie. On retrouve les mêmes tendances pour le surpoids, le tabagisme, l’inactivité physique, etc. L’inéquité sociale de santé coûte au Hainaut environ 1 800 morts chaque année.

Lutter contre cette inéquité sociale réclame non des dispositifs généraux élargissant qualitativement ou quantitativement la couverture santé, mais des mesures spécifiques, visant ces populations précaires en particulier.Or la Belgique, et singulièrement les Communautés et les Régions, pourtant compétentes, ne disposent pas de véritables stratégies de lutte contre les inégalités de santé. L’Etat a pourtant pour vocation première de protéger les plus faibles.

Pourquoi remettre en avant aujourd’hui cette revendication quasiment éculée ? Pour trois raisons très contemporaines. D’abord parce que l’Etat théoriquement protecteur devient insensiblement lui-même prédateur. Parce que les crispations politiques du moment tendent dangereusement à faire porter le chapeau de nos impasses aux plus vulnérables. Sans-abri, migrants, demandeurs d’asile, sans-papiers, Roms, personnes se prostituant tous ceux que Médecins du monde soigne depuis plus de dix ans sont parfois considérés non plus comme des personnes en grande précarité, mais comme des menaces. Après avoir constaté que le lent arrive moins loin, on en vient à penser que c’est sa faute si le groupe n’arrive nulle part. Expulsions répétées (du travail, du logement, des institutions d’aide), démantèlement des lieux de vie, retour à la rue après les plans Hiver pour personnes sans-abri, contrôles policiers.

Toutes ces stratégies visant à « remettre de l’ordre dans le désordre » des groupes précaires génèrent un mal-être à l’opposé de la santé. Si la pauvreté est en soi un facteur d’inégalité de santé, la « stigmatisation des pauvres » a, elle aussi, des répercussions sur leurs conditions de vie et, ipso facto, sur leur santé. A force de chasser les pauvres, l’Etat et l’économie les soumettent à un régime qui nuit à leur santé. Plutôt qu’un Etat qui soigne, on aurait un Etat qui nuit.

La deuxième raison de cet appel prolonge la première : la Belgique est caractérisée par un droit à la santé quasiment universel. Avec des mécanismes de protection sociale tels le statut Omnio, l’Aide médicale urgente, la carte santé quasiment personne ne devrait avoir de difficulté d’accès aux soins. Or la Belgique est clairement pointée du doigt pour la différence entre le droit théorique et l’exercice de ce droit. En cause : la complexité administrative. Serait-ce à dire que l’Etat est incapable de rendre effectif des droits pourtant prévus par des lois ? Si on analyse cette inefficacité à la lumière du déferlement de questions parlementaires contre les dispositifs d’accès aux soins des indigents et de la multiplication des instructions administratives proposant une réinterprétation restrictive de la loi, on peut sérieusement se poser la question de savoir si cette inefficacité n’est pas choisie. On peut légitimement se demander si l’objectif n’est pas de rationaliser l’accès à la santé des pauvres qui seraient tenus pour responsables de leur précarité. Quoi qu’il en soit, la résultante est vraie : les personnes précaires retardent, voire renoncent aux soins de santé. Pire, dans certains cas, ils n’y ont même plus accès.

Enfin, en laissant s’installer la saturation de la médecine générale, en ne répondant pas à la pénurie de services de santé mentale, de maisons médicales et de plannings familiaux, en déclarant réalité le soi-disant « trou de la sécu », bref, en ne remettant pas suffisamment à flot les dispositifs d’accès censés protéger les plus faibles, ces derniers en deviennent exclus, chassés par des publics dits plus faciles et dont le nombre est largement suffisant pour faire tourner le système. Les services qui étaient destinés aux groupes vulnérables sont de plus en plus captés par le tout-venant. Les 15 % de population au seuil de la pauvreté y ont de moins en moins accès.

Médecins du monde doit donc tirer la sonnette d’alarme : la pression exercée sur les plus précaires détériore leur santé d’année en année. S’il est une urgence humanitaire aujourd’hui, c’est de réapprendre à nous indigner de la pauvreté plutôt que la stigmatiser.

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