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Vie active - Les nanotechnologies - Comprendre
L’encadrement des nanomatériaux totalement à la masse
par Valérie Xhonneux - 24 février 2017

Voilà 10 ans (et plus) que la question de l’encadrement des nanomatériaux a été posée. Qu’il s’agisse de l’encadrement législatif, par le biais de REACH, ou de l’encadrement des protocoles de recherche, les constats étaient unanimes : le cadre existant à l’époque était insuffisant. Et le bilan à tirer des initiatives menées depuis pour le compléter est tristement cauchemardesque.

Le registre belge des nanomatériaux prêt à fondre comme neige au soleil ?

Adopté lors de la précédente législature, l’arrêté royal du 27 mai 2014 relatif à « la mise sur le marché des substances manufacturées à l’état nanoparticulaire » prévoit l’enregistrement des nanoparticules manufacturées en tant que substances ou utilisées dans un mélange auprès de l’administration fédérale. Fruit de longues négociations, ce registre belge permet de pallier à l’absence d’enregistrement européen (voir ci-dessous, chapitre REACH) et fournira aux autorités fédérales les informations indispensables pour savoir où se trouvent les substances manufacturées à l’état nanoparticulaires – et quels risques pourraient en découler.

Le registre fédéral prévoit trois phases : l’enregistrement des substances pour le 1er janvier 2016, l’enregistrement des mélanges pour le 1er janvier 2017 et l’enregistrement des produits pour lesquels la date d’entrée en vigueur a été conditionnée par le gouvernement à la réalisation d’une évaluation (report sine die donc). Si la première a bien eu lieu, les ministres fédéraux compétents (De Block, Marghem et Peeters) ont annoncé à l’automne 2016 leur volonté de reporter d’un an l’entrée en vigueur de l’obligation d’enregistrement pour les mélanges et de supprimer l’obligation d’enregistrement des cosmétiques. Une demande d’avis a été déposée aux différents organes consultatifs, dont le CFDD et le CCE (leur avis conjoint est disponible ici ), au mois de décembre.

Et c’est là qu’on commence à s’inquiéter furieusement.

Les motivations présentées par les ministres pour justifier ce report sont en effet floues (« charge administrative trop importante pour les entreprises ») et non documentées (aucun état des lieux des enregistrements déjà effectués par les entreprises en prévision du 1er janvier 2017 n’a pu être présenté). La portée des modifications qui pourraient découler du travail pour « alléger la charge administrative » n’est pas claire non plus : modification du software, modification de la définition de mélange ? Aucune balise, définie de manière concertée avec l’ensemble des parties prenantes, n’a été présentée.

Les balises fixées lors de la consultation sur l’Arrêté royal de 2014 sont totalement mises de côté en ce qui concerne les produits cosmétiques. En effet, les remarques formulées à l’époque prévoyaient que les cosmétiques puissent être retirés du champ d’application du registre belge si et seulement si les données obtenues par l’Union Européennes dans le cadre de sa législation sur les produits cosmétiques étaient équivalentes à celles demandées par le registre, et accessibles aux différentes administrations fédérales concernées par la problématique. Or, l’inventaire européen des nanomatériaux dans les cosmétiques ne répond à aucun de ces deux critères (voir ci-dessous, chapitre Cosmétiques).

Cette situation entraine donc une incertitude juridique : l’enregistrement des mélanges était dû pour le 1er janvier, et l’arrêté royal qui prévoit le report de cette obligation s’apprête à passer pour avis au Conseil d’Etat. On ne s’attend donc pas à une publication officielle avant le mois d’avril. Elle génère également une iniquité entre les entreprises : comment justifier auprès des entreprises qui ont effectué l’enregistrement de leur(s) mélange(s) en temps et en heure (car oui, il y en a) que finalement non, l’enregistrement est reporté, et l’annonce officielle n’en sera faite que 4 mois après la date prévue pour répondre à cette obligation ?

Bref, tant le fond que la forme de la modification sont inquiétants. D’autant plus quand on se penche sur ce qui se passe dans d’autres Etats-Membres et au niveau européen…

Qu’est ce qu’on nous fait encore manger ?

On le sait : la consommation régulière de bonbons n’est par recommandée pour qui veut préserver ses dents ou limiter ses apports caloriques. Mais la publication concomitante d’une étude de l’INRA et d’un rapport de l’association Agir pour l’environnement vient compléter un tableau déjà peu réjouissant…

Objet de toutes ces attentions : le dioxyde de titane (TiO2). Utilisé dans de nombreux domaines (matériaux de construction, cosmétiques, notamment), il est aussi couramment employé comme additif alimentaire pour ses propriétés d’opacifiant et de colorant blanc, ce tant dans les biscuits que les bonbons ou les chewing gums. On le retrouve sur la liste des ingrédients de ces aliments sous le code E171. Une partie de ce TiO2 est présente sous forme de nanoparticule – mais n’est pas étiquetée, contrairement à ce qu’impose pourtant le règlement européen sur l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires (Pour en savoir plus à ce sujet, n’hésitez pas à consulter le site de Veillenanos [1]. Pas de chance pour la transparence !

Le Centre international de recherche contre le cancer (CIRC) avait déjà classé l’exposition par inhalation au TiO2 comme cancérigène possible pour l’homme. Les résultats [2] des travaux de l’INRA et de ses partenaires menés sur l’animal et publiés il y a quelques semaines sont tout aussi inquiétants : non seulement le TiO2 est capable de franchir la barrière intestinale et de passer dans le sang, mais il altère également la réponse immunitaire intestinale et globale. De plus, les chercheurs ont mis en évidence un effet initiateur et promoteur de stades précoces de cancérogenèse colorectale. Ces observations n’étant pas directement extrapolable à l’Homme, l’Agence française recommande la réalisation d’une étude de cancérogenèse qui respecte les lignes directrices de l’OCDE et qui permette de compléter l’analyse.

En parallèle à ces travaux toxicologiques, l’association Agir pour l’environnement a mené l’enquête en magasin à plusieurs reprises. Et là, autre résultat interpellant : si de nombreuses confiseries mentionnent des additifs alimentaires, aucune ne mentionne leur présence sous forme nano, tel qu’imposé par la législation européenne. Or des tests réalisés par l’association sur plusieurs produits ont montré que ces additifs sont bien présents sous forme nanométrique et aux seuils requérant l’étiquetage. Qui est donc allègrement oublié par les fabricants – et dont le respect n’est pas suffisamment contrôlé par les autorités françaises (et la situation n’est probablement pas plus reluisante dans les autres Etats-Membres de l’UE)…

L’inventaire européen des nanomatériaux dans les cosmétiques

Il y a trois ans, le 11 janvier 2014 pour être précise, la Commission Européenne aurait dû publier un inventaire des nanomatériaux utilisés dans les produits cosmétiques présents sur le marché européen. La Commission Européenne justifie ce retard du fait de la mauvaise qualité des informations fournies par l’industrie. Et pour illustrer son propos, la Commission prend le cas de l’enregistrement de certaines substances, comme l’eau, qui ont été notifiées comme nanomatériaux, alors qu’il est « improbable » qu’elles répondent à la définition fixée. Par ailleurs, d’autres substances, pour lesquelles la Commission attendait un enregistrement comme nanomatériaux, n’ont pas été notifiées. La Commission entend donc vérifier l’exactitude des informations fournies avant de publier quoi que ce soit.

Si le souhait de la Commission de vérifier la qualité des informations contenues dans le registre peut paraitre légitime, il ne peut servir à retarder encore ce processus. Les données devaient être publiées (pas enregistrées par les entreprises puis analysées, publiées) en janvier 2014 ! Le retard accumulé ici ne peut s’expliquer par la volonté de la Commission de bien faire. C’est clairement la préférence qu’elle accorde aux préoccupations des industries – et au détriment de la santé et de l’environnement des citoyens européens – qui en est la cause.

L’attitude de certaines entreprises, qui ne jouent pas le jeu et fournissent des informations erronées, ou ne fournissent pas les données légitiment attendues, est également condamnable.

Au vu de l’état des connaissances, on serait en droit d’attendre de la Commission Européenne des mesures fortes, comme le retrait des cosmétiques contenant des nanomatériaux du marché, jusqu’à ce que les données adéquates soient fournies par les entreprises concernées.

L’encadrement des nanomatériaux dans REACH

Ces 16 et 17 février, après un délai de 5 ans, la Commission présentera au comité REACH sa proposition de modification du règlement pour l’ « adapter » aux nanomatériaux. Ce faisant, elle by-passe le groupe dédié à cette problématique, le CASG-nano (pour competent authority sub-group on nanomaterials), et les questions posées par les membres de ce groupe (qui comprend des représentants des Etats-membres et des stakeholders) sur cette réforme. Les associations européennes de protection de l’environnement et de la santé ont dénoncé cette attitude (le courrier complet peut être lu ici), ainsi que le temps pris par la Commission pour avancer sur cette adaptation du règlement, qui était supposée être plus rapide que la création d’une législation spécifique aux nanomatériaux.

En guise de conclusion…

Une fois de plus nous sommes en présence d’un dossier typique où les intérêts industriels sont largement priorisés par rapport aux enjeux sanitaires et relatifs à l’environnement. Le seul bon sens ne suffisant visiblement pas, je table sur les discussions de l’atelier « Des politiques publiques qui donnent priorité à la santé plutôt qu’au lobby de l’industrie » de notre Université de ce vendredi 17 février pour identifier des pistes concrètes d’action afin ramener la protection de la santé et de l’environnement au cœur des préoccupations politiques…

notes :

[2Ces travaux ont été menés dans le cadre du projet NANOGUT, financé par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) dans le cadre du Programme national de recherche en environnement-santé-travail (PNR EST) et coordonné par l’Inra.

Voir aussi :
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