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Vie active - Alimentation - Comprendre
Ces animaux-objets que nous exploitons sans nous interroger
par Alain Geerts - 25 septembre 2013

Plus de 65 milliards d’animaux sont élevés chaque année dans le monde pour notre alimentation. En Europe, 80% sont issus d’élevages intensifs. Alors que la viande est devenue le pilier de l’alimentation de quelques pays riches, de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer un modèle insoutenable et cruel envers des animaux toujours considérés comme des « biens meubles » dans le Code civil français.
Un rappel utile vu que, malgré que la chose soit de plus en plus connue, rien ne change !

Un article de Franck Laval et Sophie Bourges, juriste de l’ONG Ecologie sans Frontière
publié sur L’Express.

De tous temps, l’Homme s’est appuyé sur l’exploitation animale pour se développer, s’octroyant un droit absolu sur ceux qu’il considère comme de simples « bêtes ». La faute à Descartes qui, en distinguant l’Homme qui pense et parle, de « l’animal-machine », a encré dans nos esprits l’idée selon laquelle les animaux seraient dénués de toute sensibilité et donc incapables de ressentir le plaisir, la peur et encore moins la souffrance.
La souffrance, ou la capacité d’être conscient de sa douleur, est-elle uniquement l’apanage des hommes ? De nombreuses études scientifiques et philosophiques tendent aujourd’hui à démontrer que les animaux sont non seulement intelligents et capables de ressentir la douleur, mais aussi d’éprouver des émotions. Si bien qu’aujourd’hui se pose la question de leur « bien-être ».

Une exploitation industrielle à mille lieues du fantasme pastoral

L’image que l’on nous vend avec notre morceau de viande ou notre produit laitier est toujours la même : celle d’une ferme dans un champ, où les animaux vivent à l’air libre et font l’éloge de leur propre exploitation.
Des abattoirs situés loin des villes aux produits présentés en morceaux géométriques et aseptisés, tout est fait pour rompre le lien entre le consommateur et l’animal, l’assiette et le mode de production. Ainsi, nous continuons notre consommation effrénée de viande sans nous interroger, avec le sentiment de ne pas connaitre les coulisses de l’exploitation animale.
Or la réalité est bien plus amer : il ne s’agit aujourd’hui plus d’élevage, mais d’industrie, d’animaux produits en séries selon un système standardisé. Oui, l’animal est bien objet, tant dans le code civil que dans notre manière d’exploiter sa vie.

Des conditions de vie et de mort odieuses

Cette course au rendement effrénée, les animaux en paient le prix fort : liberté de mouvement et comportements naturels entravés (immobilisation dans des stalles individuelles ou confinement dans des cages surpeuplées, élevage sur caillebotis sans paille, sans accès à l’extérieur), vie au milieu des déjections et des cadavres d’animaux n’ayant pas survécu, mutilations sans anesthésie (castration à vif, coupe des becs, des queues, des canines, des cornes...), gavage, accélérateurs de croissance (antibiotiques, hormones), séparation prématurée mère-petits, sélection génétique (élimination des animaux inutiles car peu productif), etc.
Après une vie de souffrance et des conditions de transport désastreuses (le plus souvent sans eau ni nourriture), les cadences des abattoirs sont telles que les animaux se font tuer sous les yeux de leurs congénères, terrorisés, quand bien souvent l’étourdissement préalable n’a pas réussi.

Dégradation de l’environnement, faim et problèmes sanitaires

Comme si la souffrance animale ne suffisait pas, l’élevage est également néfaste pour l’environnement : émissions de gaz à effet de serre (l’élevage est responsable de 18% des émissions annuelles dans le monde), dégradation des terres, déforestation, pollution des eaux et perte de biodiversité... sont autant de menaces que fait peser l’élevage intensif sur la planète. C’est ce qu’a encore affirmé en 2006 un rapport de la FAO, « Livestock’s long shadow ».
Autre point noir au tableau : l’élevage ne pourra répondre encore longtemps à la demande croissante de nourriture liée à l’explosion démographique. Pour produire 1kg de viande, ce sont environ 15 500 litres d’eau qui sont nécessaires. Plus d’un tiers de la production céréalière mondiale est utilisée pour l’élevage. La même quantité de céréales utilisées pour un animal pourrait nourrir dix fois plus de personnes. A l’heure de la raréfaction des ressources, comment soutenir un tel modèle de production ?
Alors qu’un récent rapport de la Banque Mondiale projette deux grandes famines dans les 40 ans à venir, de plus en plus de médecins et nutritionnistes dénoncent quant à eux les effets néfastes d’une consommation excessive de viande sur notre santé.
Souffrance animale, dégradation de l’environnement, famines, problèmes sanitaires : quel avenir laisserons-nous aux générations futures ? Le constat est sans appel : nous devons diminuer notre consommation de viande tout en revenant vers des modes d’élevage traditionnels.

Étiquetage et droit à l’information

Selon un sondage réalisé par OpinionWay en février pour l’association L 214, 90% des français sont opposés à l’élevage intensif. Mais comment le consommateur pourrait-il choisir de consommer de façon responsable en absence d’information suffisante ? Aujourd’hui, seuls le label Bio et le label Rouge garantissent des conditions d’élevage décentes, ne réglant en outre ni la question du transport et ni celle de l’abatage.
Si un tel système d’exploitation survit aujourd’hui, c’est grâce à son opacité. Il est donc fondamental que le consommateur ait accès aux informations relatives au mode d’élevage, de transport et d’abatage des produits d’origine animale qu’il consomme. C’est pourquoi de nombreuses ONG - telles que CIWF qui mène actuellement une campagne « question d’étiquette » - militent pour un étiquetage obligatoire du mode d’élevage de tous les produits carnés et laitiers vendus dans l’UE.

Rouvrir le débat sur le droit des animaux

La question du bien-être de l’animal est indissociable du statut juridique de ce dernier. Dans notre code civil, les animaux sont encore inscrits dans la catégorie des bien meubles. Autrement dit, l’animal est un objet que l’on peut transporter d’un lieu à un autre. Comment s’étonner alors que les animaux d’élevage soient traités comme de simples matières premières ?Il est grand temps de rouvrir le débat sur le droit des animaux, reconnus « êtres sensibles » dans le Code pénal, mais toujours considérés comme des objets dénués de sentiments dans le Code civil.
Améliorer la condition animale, c’est changer notre rapport à l’animal en respectant son bien-être, tout en diminuant notre consommation de viande. Pour cela, la modification du statut juridique de l’animal constituera un premier pas essentiel en ce qu’elle renforcera les obligations et responsabilités de l’Homme à son égard. Nous devons reconnaître dans notre Code civil que les animaux ne sont pas des meubles, mais bien des sujets de droit.