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OGM et herbicides : l’étude de Séralini est un bon début
- 26 septembre 2012

L’étude de Gilles Eric Séralini parue dans « Food and Chemical Toxicology » le 19 septembre dernier a déclenché un véritable raz de marée médiatique. Quoi de plus normal : cette étude est en effet la première à étudier, sur des animaux de laboratoire, les effets chroniques à long terme (24 mois) d’un régime OGM. Au-delà des résultats inquiétants de cette étude, l’évènement reste… qu’il aura fallu que des chercheurs publics reconnus trouvent des fonds privés pour qu’enfin une telle étude sur 2 ans soit faite.

Cet événement a donc pointé les lacunes du système d’évaluation européen, l’EFSA (l’autorité sanitaire des aliments européenne), qui a toujours refusé de conduire une telle étude. Rien que pour cela, elle est salutaire car elle devrait permettre de faire – je l’espère – évoluer les exigences réglementaires en rendant à l’avenir ces tests chroniques longs obligatoires pour les OGM.

Les effets chroniques de l’herbicide à base de glysophate Round Up

Cependant, le vacarme médiatique a jusqu’à présent quasiment rendu inaudible une dimension très importante de cette étude : les effets chroniques de l’herbicide à base de glyphosate Round Up (RU GT +) ingéré à très faible dose par les rats.

En effet, Gilles-Eric Séralini et son équipe ont également suivi des groupes de rats ne mangeant pas d’OGM mais ingérant du RU à diverses concentrations dans leur eau pendant les deux années de l’expérience. Et les résultats sont très inquiétants. L’étude précise qu’« on a observé une induction de tumeurs mammaires extrêmement marquée par le RU seul, même à la plus faible dose administrée ».

Le nombre de tumeurs mammaires apparaît même le plus élevé à la dose la plus faible : 0.1ppb de RU GT +, soit environ 50 ng/l de glyphosate, la matière active du RU. Cette quantité est très faible et inférieure à la Concentration Maximale Admissible pour l’eau du robinet (100ng/l). A cette dose on multiplie par 2 le risque de tumeurs mammaires chez les rats femelles par rapport au groupe contrôle.

Les auteurs expliquent que le RU agit comme un perturbateur endocrinien, ce qui pourrait expliquer la survenue de ces tumeurs hormono-dépendantes et l’effet particulièrement important des faibles doses. A noter que l’étude étudie bien l’effet d’un RU, c’est-à-dire d’un mélange de glyphosate avec des surfactants dont le rôle est de faciliter la pénétration de la matière active dans les cellules, ce qui augmente d’après certains auteurs [1] la dangerosité du glyphosate.

Herbicides au glyphosate et cancer : l’étude de Séralini est-elle une première ?

Lerapport de la Commission européenne ayant servi de base à la revue de l’homologation du glyphosate en 2001 conclut à l’absence de risque cancérigène sur la base de résultats de tests à 2 ans chez le rat.

Séralini serait-il donc le seul à voir un risque cancérigène dans l’exposition à des pesticides à base de glyphosate ? La réponse est clairement non. La question du caractère cancérogène des herbicides à base de glyphosate est un sujet de controverse depuis les premières études de toxicité chronique du début des années 80. Ce que peu de gens savent c’est que, à l’origine, le glyphosate était classé « Cancérigène possible » aux USA [2] sur la base de l’augmentation de certaines tumeurs chez les rongeurs étudiés [3].

Mais l’USEPA a estimé à plusieurs reprises que ces études n’étaient « pas significatives ». L’affaire a fait polémique à l’époque. Par exemple, dans le cas des tumeurs du rein chez la souris, les pétitionnaires ont réexaminé les données. Ils ont retrouvé une tumeur supplémentaire dans le groupe témoin, ce qui a totalement changé la signification statistique des tests… Et ce malgré une note d’un pathologiste de l’EPA prétendant que la tumeur en question n’en était pas vraiment une ! Bref, la substance a alors été déclassée en groupe D, « non classifiable pour le cancer » puis E, « preuve de non carcinogénicité pour l’homme »…

Pourtant d’autres études ont depuis conclu à un lien entre herbicides à base de glyphosate et risque accru de cancers, tant chez l’animal que chez l’homme. Pas possible de les citer toutes ici, bien sûr. Mais rappelons les travaux de Robert Bellé, [4] du CNRS de Roscoff, sur l’impact du RU sur la division cellulaire de l’embryon d’oursin. Il n’a pas hésité à conclure, dans l’étude citée en référence : « le risque cancérigène d’un herbicide d’usage intensif dans le monde, le Round Up, dont le glyphosate est l’élément actif, a pu être démontré » !

Des études épidémiologiques [5], réalisées à partir de statistiques sur des populations humaines exposées à des herbicides à base de glyphosate se sont également multipliées ces dernières années, réalisées par des universités suédoises, américaines, canadiennes, qui montrent un risque accru de développer un lymphome non hodgkinien chez les personnes exposées.

De l’alerte à l’action

L’étude de Gilles-Eric Séralini a donc le mérite de faire émerger toutes ces interrogations sur l’innocuité des herbicides à base de glyphosate. Les pouvoirs publics et les évaluateurs doivent maintenant se saisir de ce questionnement légitime et mettre en place de nouvelles études d’évaluation de l’effet chronique de ces herbicides. Surtout, ils doivent s’assurer que les études menées seront conduites par des équipes indépendantes des firmes et qu’elles seront conduites sur le produit formulé, contenant le glyphosate et ses adjuvants.

Mais, en attendant les résultats de telles études, pouvons-nous tolérer que ces herbicides continuent à être utilisés librement et en grande quantités, y compris par les jardiniers amateurs ? Même si cela peut paraître déraisonnable à certains, la question d’une suspension de l’autorisation donnée à ces produits, au nom du principe de précaution, se pose aujourd’hui .

Auteur : François Veillerette, porte-parole de « Générations futures »
Édité par Lisa Beaujour Auteur parrainé par Guillaume Malaurie
Paru sur le site du Nouvel Obs

Crédit photographique : © FikMik - Fotolia.com

notes :

[1Voir par exemple : J. Marc et al. / Biology of the Cell 96 (2004) 245–249

[2Voir par exemple : ‘Regulating pesticides in food ‘, National Research Council, National Academy Press, 1987, page 68.

[3Lire : Glyphosate, Part 1 : Toxicology by Caroline Cox Journal of Pesticide Reform, Volume 15, Number 3, 1995. Northwest Coalition for Alternatives to Pesticides. Page 6

[4« L’embryon d’oursin, le point de surveillance de l’ADN endommagé de la division cellulaire et les mécanismes à l’origine de la cancérisation » R. Bellé et al. Journal de la Société de Biologie, 201 (3), 317-327 (2007)

[5Voir par exemple : Hardell L et al 2002. Exposure to pesticides as risk factor for non-Hodgkin’s lymphoma and hairy cell leukemia:Pooled analysis of two Swedish case-control studies. Leuk. Lymph. 43:1043-1049.