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Notre environnement - Agents chimiques - Comprendre
La toxicité de dizaines de substances sous-évaluée
par Alain Geerts - 29 mars 2012

Rarement débat scientifique aura été à la fois aussi peu médiatisé et aussi crucial pour la santé publique. Depuis plus d’une quinzaine d’années, un nombre croissant de biologistes suspectent des effets délétères de certains composés chimiques à des niveaux d’exposition très inférieurs aux doses considérées comme sûres.

Dans l’édition à paraître de la revue Endocrine Reviews, une douzaine de chercheurs américains issus du monde académique enfoncent le clou en présentant le résultat d’un travail d’analyse considérable, le plus important réalisé à ce jour sur le sujet. Leurs conclusions mettent en évidence un ensemble d’éléments scientifiques plaidant pour un profond changement de méthodologie dans l’évaluation de la toxicité de nombreuses molécules mises sur le marché.

Les auteurs ont passé en revue plus de 800 études distinctes menées sur l’homme, sur l’animal ou sur des cultures cellulaires. « Nous avons voulu considérer cette littérature dans son ensemble, indique la biologiste Laura Vandenberg (Tufts University à Boston), premier auteur de cette analyse. Il ressort, en résumé, que les molécules qui imitent ou bloquent les hormones ont des effets négatifs à très faibles doses, c’est-à-dire à des doses généralement considérées comme sûres chez l’homme. »

Ces effets sont difficiles ou impossibles à mettre en évidence avec les données de la toxicologie classique - sur lesquelles s’appuient les agences d’évaluation des risques. Pourquoi ?

LA DOSE NE FAIT PAS FORCÉMENT LE POISON

D’abord, les effets de ces perturbateurs endocriniens battent en brèche un principe central de la toxicologie. « Les études de toxicologie classique partent du principe que »la dose fait le poison« , c’est-à-dire que plus on augmente la dose du produit que l’on veut tester, plus l’effet est important, explique Daniel Zalko, chercheur à l’unité de toxicologie alimentaire de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), à Toulouse. Or, à plus faibles doses, et parfois à des doses inférieures à un niveau où la toxicité du produit semble avoir disparu, on retrouve des effets importants, d’une nature parfois différente. »

La toxicologie classique ne s’appuie en général que sur des expériences à hautes doses. « Une fois que la toxicité d’une molécule est établie sur l’animal à des doses importantes, les toxicologues en déduisent par extrapolation une dose sans effet toxique observable, explique Mme Vandenberg. Ensuite, à partir de cette valeur, la dose journalière admissible pour l’homme est calculée... mais elle n’est jamais testée ! »

Le fait que les perturbateurs endocriniens puissent avoir des effets à très faibles doses qui disparaissent à des niveaux d’exposition supérieurs ruine cette méthodologie.

En outre, les tests toxicologiques classiques effectués sur les animaux de laboratoire ne cherchent que certains types d’effets. « Les toxicologues s’attachent à repérer des effets très particuliers, comme la mort de l’animal, la survenue de tumeurs, etc., précise la biologiste américaine. Ils ne cherchent pas, par exemple, à savoir si le système cérébral s’est normalement développé, si un animal mâle se comporte toujours comme un mâle, ou s’il se comporte comme une femelle... »

L’étude liste une trentaine de molécules dont les effets échappent ou sont susceptibles d’échapper à la toxicologie classique. « Sans aucune réserve, estime Daniel Zalko, la synthèse présentée reflète bien l’état des connaissances sur la question. » Pourtant, la plupart des agences d’évaluation des risques dans le monde ignorent encore largement les effets aux faibles doses des perturbateurs endocriniens. « A l’exception de l’Anses [l’Agence de sécurité sanitaire française], qui est, sur cette question, très en avance sur ses homologues », remarque toutefois Ana Soto, endocrinologue et professeure de biologie cellulaire à la faculté de médecine de la Tufts University, coauteur de l’étude.

« ON N’EXPÉRIMENTE PAS SUR L’ÊTRE HUMAIN »

Les réticences des agences se fondent sur le fait que certaines des expériences n’ont pas été reproduites. « D’abord, il faut savoir que les chercheurs du monde académique ne disposent souvent pas de budgets pour reproduire à l’identique des expériences qui ont déjà été menées, souligne Laura Vandenberg. De plus, cette critique serait recevable si nous n’avions pas, désormais, un très vaste corpus d’études qui pointent toutes dans la même direction. »

Par ailleurs, mettre en évidence chez l’homme les effets de ces perturbateurs endocriniens est parfois très ardu. « Si l’on prend l’exemple du bisphénol A, qui est la molécule la plus étudiée, il y a des effets qui se développent tard dans la vie suite à une exposition in utero, au cours de phases critiques du développement fœtal, explique Daniel Zalko. C’est quelque chose que l’on peut mettre en évidence chez l’animal en laboratoire, mais qui est très difficile à démontrer chez l’homme, puisque, pour d’évidentes raisons éthiques, on n’expérimente pas sur l’être humain... »

La diversité des molécules et de leurs effets rend également délicate la conduite d’études dans la population humaine. Chez l’animal, il a été montré que l’exposition à de faibles doses de bisphénol A provoque une puberté avancée chez la femelle, des troubles du comportement sociosexuel chez les mâles, une prédisposition accrue au cancer de la prostate et de la glande mammaire, une baisse de la fertilité, etc. Chez l’homme, deux récentes études viennent de mettre en cause cette substance dans l’incidence du diabète de type 2 et de l’obésité...

Un article de Stéphane Foucart paru sur le site Le Monde.fr

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