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Notre environnement - Pesticides - Positions
Pesticides agricoles et santé des riverains
par Lionel Delvaux - 25 mai 2016

L’imaginaire relatif au caractère idyllique de la vie dans nos campagnes s’est, ces dernières années, terni du fait de la prise en compte d’un nouveau paramètre :l’exposition aux pesticides par voie aérienne. Il n’est pas rare d’entendre que certains, pour échapper à cette exposition seraient retournés vivre dans les zones plus urbanisées.. Autre indicateur significatif : le Service Public et/ou les associations sont de plus souvent interpellés à ce sujet : l’agriculteur a traité son champ, mes enfants doivent-ils rentrer, ? Dois-je fermer les fenêtres ? Faut-il relaver mon linge qui séchait à l’extérieur ? Comment convaincre l’agriculteur de passer à l’agriculture biologique ? Une haie est-elle suffisante pour me protéger des risques ? Que peut-on faire pour réduire l’exposition des enfants à l’école ? La commune peut-elle faire quelque chose ?...

En Belgique, il n’y a quasiment pas eu d’étude au sujet de l’exposition aux pesticides via l’air. Une étude en cours, EXPOPESTEN apportera des réponses sur l’exposition quantitative et qualitative des populations urbaines et rurales aux pesticides, sur les variations temporelles et spatiales de l’exposition, sur le niveau d’exposition des enfants aux pesticides environnementaux, sur les niveaux d’exposition dans des populations localisées dans des environnements contrastés (proximité ou non des épandages agricoles), et sur les risques liés à ces expositions. Plus récemment, une habitante de Fernelmont s’est inquiétée, dans une lettre ouverte, de l’occurrence des cancers dans son quartier. Les pesticides pourraient être en cause, les maisons étant entourées de surfaces agricoles. Sollicitée par la commune, la Région wallonne a pris cette affaire au sérieux et a mandaté l’Agence wallonne pour une vie de qualité (AVIQ) afin d’analyser la situation et de tenter de trouver la cause de ce nombre élevé de cancer dans ce quartier.

L’exposition par voie aérienne : en croissance !

Il s’est fallu de quelques décennies pour que l’agriculture ne puisse se passer des pesticides et développe une dépendance qui n’a eu de cesse de croître. Les volumes se sont stabilisés dans les années 90 notamment parce que de nombreuses substances ont été interdites et remplacées par d’autres substances actives dont la moindre quantité nécessaire ne signifie rien quant à la diminution de la toxicité. Dans ce laps de temps, l’espace rural a été profondément modifié dans de nombreuses communes wallonnes. L’urbanisation s’est développée à l’extérieur de la ceinture verte de nos villes et villages allant jusqu’au mitage des terres de cultures, par de l’urbanisation « en bandelette » le long des axes routiers. Ces phénomènes sont plus marqués encore en périphérie des grandes villes, pour prendre la forme de périurbanisation.

L’habitat s’est donc développé dans l’espace agricole, suscitant davantage de conflit liés à la coexistence de l’activité agricole et du résidentiel. Les agriculteurs, de leur côté, se sont éloignés des centres de village ou ont abandonné l’élevage, plus souvent à la source des problèmes de voisinage. Dans le même temps, de nombreux agriculteurs se sont spécialisés en zone de grandes cultures et ont abandonné l’élevage. Les prairies, quand elles n’ont pas été urbanisées, ont souvent été labourées pour devenir terres de cultures. Ces évolutions ont accru les problèmes de coulées boueuses dans un premier temps mais ont également pour effet notoire de rapprocher les habitants des terres de cultures autrefois établies à l’extérieur des villes et villages, au-delà des ceintures prairiales.

Une exposition « acceptable »…

Quand une substance active est admise au niveau européen, il appartient ensuite aux États membres d’autoriser les formulations qui seront mises sur le marché en prenant notamment en compte leur impact sur l’applicateur, le passant et le riverain. Des modèles d’exposition empiriques sont utilisés à cet effet et sont basés sur des résultats d’exposition après pulvérisation, par exemple en plein champ ou dans des serres. Selon les prévisions de ces modèles, une bande tampon pourrait donc être imposée dans le cadre des agréations. Celle-ci resterait très relative eu égard à l’absence de contrôle en champs des dispositions liées à l’agréation par l’autorité compétente. Notons également que ces modèles et les données sous-jacentes sont actuellement en révision, afin d’obtenir un affinement de l’évaluation de l’exposition humaine. À notre connaissance, il n’existe pas de bande tampon destinée à protéger les riverains qui soit supérieure aux bandes tampons destinées à préserver l’environnement ou la propriété privée…

Une « acceptabilité » liée à la déficience de son évaluation

Ces modèles empiriques sont particulièrement insuffisants, principalement du fait des déficiences dans l’évaluation de l’impact des pesticides sur la santé. De nombreuses matières actives sont supprimées à posteriori car des impacts sur la santé sont découverts après leur mise sur le marché. Le processus d’évaluation ne les avait tout simplement pas identifiées. De plus, pour prendre en compte ces études, il faut établir la relation de cause à effet entre pesticide et impact sur la santé, ce qui peut nécessiter des années de recherche. La prise en compte de l’effet « perturbateur endocrinien » devrait sous peu conduire à la suppression de matières actives pourtant valide aujourd’hui. Cet effet est par exemple clairement démontré sur base d’études épidémiologiques impliquant des riverains sans que la matière active ne soit remise en cause puisque ce critère n’est pas reconnu aujourd’hui.

L’étude réalisée en Californie et publiée dans le journal Environmental Health Perspectives utilise des données très précises (localisation des traitements, date de traitement et exposition des enfants pendant la grossesse) et se consacre au lien entre l’exposition des riverains et l’autisme. Un enfant sur 68 est aujourd’hui atteint de cette maladie alors qu’un enfant sur 150 l’était il y a à peine 10 ans. L’étude démontre qu’une femme enceinte exposée à certains insecticides (organophosphorés et pyréthrinoïdes) a un risque 66 % plus élevé de voir son enfant développer cette maladie, et ce, à des distances avec les traitements pouvant aller jusqu’à 1,5 kilomètre. L’étude a également montré que le risque d’avoir un enfant autiste est d’autant plus important que l’exposition de la femme enceinte était forte pendant le deuxième et le troisième trimestre de la grossesse. Mais le lien de cause à effet doit encore être démontré...

Une exposition des riverains peu évaluée et méconnue

Les publications relatives à l’exposition aux pesticides de la population via l’air sont peu nombreuses et quasi inexistantes en Belgique. Les mesures indirectes, via les poussières ou des analyses de matrice biologique (sang, cheveux…) sont plus courantes. La dérive des pesticides dans l’air résulte d’un déplacement des particules, de résidus voire d’émanations gazeuses dans l’atmosphère, hors des zones ciblées, pendant et après la pulvérisation des produits. Ces particules peuvent demeurer plus ou moins longtemps dans l’air selon plusieurs critères physiques, chimiques et météorologiques. L’étude Expopesten apportera un éclairage plus que nécessaire sur cette exposition.

L’exposition est évidemment plus importante dans les zones agricoles notamment celles caractérisées par une utilisation intensive des pesticides (vignobles, arboriculture, cultures de pomme de terre) sur des surfaces importantes. La distance aux sources d’émission de pesticides ressort aussi comme un déterminant pour expliquer les différences de présence et de concentrations de substances actives mesurées dans l’air des résidences ou dans le corps humain. Les distances utilisées pour établir un lien entre exposition et maladies font état de distance allant de 250 à 1500 mètres.

Générations futures (association française active en santé environnementale) a traqué les résidus de produits phytosanitaires chez des riverains dans les poussières de leur habitation. Les analyses ont permis de détecter 20 produits différents par habitation : 14 dans celles installées près de parcelles de grandes cultures céréalières, 23 près de vergers, 26 près de vignes. Douze sont de probables perturbateurs endocriniens. En quantité, ces molécules, qui sont suspectées d’influencer notre système hormonal, représentent même 98 % des échantillons : 17,3 milligrammes sur les 17,6 mg de résidus recensés par kilo de poussière. Cette enquête confirme les inquiétudes des riverains d’exploitations agricoles intensives : ils sont bel et bien exposés à un ensemble de produits chimiques dont on connaît mal l’effet cocktail.

Réduire l’exposition des « groupes vulnérables »

La Région est compétente pour assurer la protection des groupes vulnérables définit par le règlement n°1107/2009. Il s’agit selon ce dernier « des personnes nécessitant une attention particulière dans le contexte de l’évaluation des effets aigus et chroniques des produits phytopharmaceutiques sur la santé. Font partie de ces groupes les femmes enceintes et les femmes allaitantes, les enfants à naître, les nourrissons et les enfants, les personnes âgées et les travailleurs et habitants fortement exposés aux pesticides sur le long terme. »

La Directive réduit cependant la portée de cette définition en réduisant les mesures de protections supplémentaires aux seules « zones utilisées par le grand public ou par des groupes vulnérables au sens de l’article 3 du règlement (CE) no 1107/2009, comme les parcs et les jardins publics, les terrains de sports et de loisirs, les terrains scolaires et les terrains de jeux pour enfants, ainsi qu’à proximité immédiate des établissements de soins. »

Cette compétence régionale devrait aboutir en 2018 à l’interdiction d’utilisation des pesticides dans les lieux publics fréquentés par les publics vulnérables. Une disposition qui n’aurait en fait que pour effet d’élargir l’interdiction de recourir aux pesticides pour les pouvoir publics aux espaces privés ouverts aux publics vulnérables. L’arrêté stipule explicitement que cette interdiction vaut également pour une bande tampon sans qu’elle ne s’applique au-delà de la limite foncière. Voilà qui limite toute possibilité de les rendre effective. Cette réglementation pourrait être adaptée sous peu puisque le Ministre Carlo Di Antonio [1] entend rendre obligatoires des bandes tampons aux alentours des écoles, des hôpitaux, des crèches, etc afin de protéger les groupes vulnérables. Des zones sans traitement aux pesticides existent déjà pour les cours d’eau. Au Canada, les groupes vulnérables sont protégés par des zones tampons de 20 à 30 mètres de large. Outre l’imposition de « bandes tampons » non traitées aux limites des zones résidentielles, l’implantation de haies peut constituer des « barrières protectrices » de la migration aérienne des pesticides (Ucar T., Hall F. R., 2001, « Windbreaks as a pesticide drift mitigation strategy : a review », Pest management Science, vol.57, 663 675. DOI : 10.1002/ps.341).

D’autres dispositions pourraient également concourir à réduire l’exposition des riverains. L’évolution de l’espace rural contribue en effet à accentuer l’exposition et des dispositions devraient être prises en amont dans le cadre des nouveaux projets d’urbanisation (habitat plus dense, plantations adéquates, bandes tampons intégrées aux projets…) notamment à proximité des zones agricoles. De même, la conversion des prairies en terre de culture en dehors de la zone agricole pourrait être limitée afin de préserver la « ceinture verte » des villages et réduire l’exposition des habitants aux pesticides.

Changer de modèle agricole

Il y a bien sur une alternative à l’agriculture dépendante aux pesticides, l’agriculture biologique constitue une alternative réaliste d’un point de vue technique et économique. Des marges de progrès existent également pour réduire l’utilisation des pesticides en agriculture conventionnelle et donc l’exposition de la population. Le développement d’une réelle politique d’encadrement vers une agriculture écologiquement intensive ou l’agro-écologie permettrait de réduire de 50 % la dépendance de l’agriculture aux pesticides à brève échéance. Trop peu de moyens sont cependant engagés à cet effet et idéalement cela impliquerait é un changement de CAP pour la PAC.
C’est pour ces raisons que les ONG européennes appellent à bilan de santé de la PAC (http://www.iew.be/spip.php?article7680)

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