Auteur de l’article : Thierry Souccar.
L’édition publique au service de la propagande pour le sucre
Un livre écrit par un responsable de l’industrie du sucre qui porte la caution d’un éditeur issu de la recherche publique, ça mérite la lecture.
C’est un livre sur le sucre publié par un éditeur. Mais pas n’importe quel livre et pas n’importe quel éditeur. « Avec ou sans sucre ? 90 clés pour comprendre le sucre » est l’œuvre de Philippe Reiser, directeur scientifique du CEDUS, l’organe de propagande de l’industrie du sucre. L’éditeur est Quae, une émanation de 4 organismes de recherche publics : l’INRA, le CIRAD, l’IFREMER et l’IRSTEA (ex-Cemagref), autant dire un éditeur du service public, même s’il s’agit d’un GIE de droit privé.
Au-delà des aspects historiques ou techniques, ce livre est surtout une habile mise en avant des messages de fond du CEDUS visant, sur un ton patelin, à réfuter ou minimiser la responsabilité du sucre dans les maladies dites de civilisation. J’en ai choisi 3 exemples.
« Pas de lien entre sucre et surpoids »
Sur le surpoids, par exemple, on peut y lire qu’il « n’existe aucun lien entre niveau d’apports en sucre et poids, et parfois même (…) les forts consommateurs sont les plus minces. (…) Les sucres en eux-mêmes ne font pas grossir ; les excès de sucres comme tout excès de calories sont à éviter. »
En réalité, l’analyse systématique de 30 études d’intervention et de 38 études prospectives commandée par l’Organisation mondiale de la santé et publiée en 2013, a conclu que la consommation de sucres ajoutés et de boissons sucrées est bien « un déterminant du poids corporel. » [2] Une autre analyse de 32 études prospectives et cliniques, de 2014, conclut que « la consommation de boissons sucrées favorise le gain de poids chez les enfants comme chez les adultes. » [3]
Quant aux travaux qui dédouanent la responsabilité du sucre (derrière lesquels se réfugie le CEDUS), ils sont probablement biaisés parce que les personnes en surpoids ont tendance à minimiser leur consommation de sucre. C’est ce que montre cette étude de février 2015 dans laquelle les chercheurs ont suivi 1734 personnes âgées de 39 à 77 ans pendant 3 ans. Leur consommation de sucre a été évaluée par un questionnaire, mais aussi par des analyses urinaires. Résultat : si elle se fie aux seules déclarations des participants, l’étude devrait conclure que les gros consommateurs de sucre n’ont guère grossi après 3 ans. Mais lorsqu’on prend en compte la consommation réelle de sucre telle qu’elle est avérée par les dosages biologiques, alors celle-ci est bien associée à un risque de surpoids.
« Les sucres pas à l’origine du diabète »
Le message de l’industrie du sucre est simple : il consiste à nier la responsabilité des sucres ajoutés dans l’épidémie de diabète, en évoquant une prédisposition génétique ou une obésité pré-existante. En clair, si vous êtes mince et en bonne santé, vous pouvez manger des produits sucrés. Ainsi, lit-on dans le livre que « les sucres ne sont pas à l’origine du diabète dans une population bien portante. Chez les personnes à risque, leur consommation en excès « peut révéler un diabète pré-existant. »
L’industrie agro-alimentaire est bien sûr alignée sur le même discours.
Par exemple, lorsque la grande étude européenne EPIC a conclu que chaque boisson sucrée quotidienne supplémentaire est associée à un risque de diabète accru de l’ordre de 20%, les fabricants de sodas en Grande-Bretagne ont déclenché un tir de barrage en assurant avant même la publication de l’étude que ces résultats n’avaient pris en compte ni les antécédents familiaux ni la corpulence. Or en réalité, il a bien été tenu compte de l’indice de masse corporelle dans cette étude, et la responsabilité du sucre reste entière. [4]
Le diabète n’est donc pas une maladie de la seule personne obèse. Des pays comme la France, la Roumanie, les Philippines, le Bengladesh, la Georgie connaissent des taux élevés de diabète alors que l’obésité y est relativement moins répandue que dans d’autres pays. En Nouvelle-Zélande, le diabète touchait 8% de la population en 2000, mais seulement 5% dix ans plus tard, alors que le taux d’obésité y est passé de 23 à 34% dans la même période.
Une étude de récente, qui portait sur 175 pays a trouvé que chaque fois qu’on augmente sa consommation de sucre de 150 calories (KCal), soit l’équivalent d’une canette de soda par jour, la prévalence du diabète augmente, indépendamment de la corpulence et de l’activité physique. [5]
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