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Tourisme durable : une offre alimentaire locale et de qualité dans les restaurants et les hébergements ?
- 25 septembre 2016

On apprenait ce printemps que le maire de la ville de Florence, Dario Nardella, avait décidé d’imposer 70% de produits locaux (toscans) dans les nouveaux restaurants et magasins d’alimentation situés dans le centre historique de la cité. La ville accueille chaque année des millions de touristes et doit faire face au développement de chaines de fast-food (Mac Donald et autres) au détriment des enseignes locales. Pour le maire de la ville cette mesure est destinée à raviver l’économie et défendre l’identité locale, ainsi qu’à protéger la santé, tant des touristes que des habitants [1]. Après avoir été le berceau de la Renaissance, la ville se montre ainsi encore pionnière, cette fois dans le domaine de l’alimentation durable et des circuits courts.

Bien qu’elle soit controversée et que sa mise en œuvre concrète doive encore être testée, cette mesure audacieuse fait rêver les élus d’autres villes, en Italie et au même au-delà de ses frontières. Au niveau de la controverse, certains soutiennent que 70 % est un seuil exagéré et qu’il peut y avoir des ingrédients moins salubres au niveau des plats et aliments régionaux. D’autres saluent le fait qu’il est intéressant qu’une ville cherche à maintenir sa « biodiversité » en matière d’offre alimentaire.

Et en effet, la durabilité environnementale, sociale, économique, ainsi que la plus-value sur le plan de la santé des aliments et recettes locales n’est pas absolue ou garantie, comme l’a démontré une étude récente et une journée de travail coordonnées par la Fédération Inter-Environnement Wallonie [2] . Elles dépendent d’une série de facteurs tels que les modes de production, de transport, de préparation, de conservation, l’assemblage des ingrédients, etc. Nous prônerons ici les démarches de valorisation des produits locaux dans la mesure où elles tiennent compte de ces dimensions et qu’elles apportent un réel bénéfice sur le plan de la durabilité.

Comment l’expérience de Florence peut-elle inspirer d’autres villes touristiques ? Quelle est la demande des touristes par rapport à des produits alimentaires locaux ? Quels sont les freins à ce que les établissements touristiques proposent une alimentation d’origine locale et comment y remédier ? Sans prétendre apporter une réponse exhaustive à toutes ces questions, voici quelques réflexions.

La demande des touristes pour des produits alimentaires locaux semble bien exister et est concomitante avec l’idée que les touristes se font de la durabilité. Une étude réalisée il y a quelques années auprès des touristes qui se rendent en France a mis en évidence le fait que l’alimentation est l’un des trois grands axes sur lesquels la demande en matière de durabilité se manifeste chez les touristes. Ainsi, les produits locaux et de saison font partie des 3 produits les plus « responsables » que les touristes allemands, britanniques et français qui se rendent en France se déclarent « intéressés » ou « très intéressés » d’acheter (avant les hébergements respectueux de l’environnement et les modes de transport doux) [3] .

En Wallonie, les touristes manifestent un certain intérêt par rapport à la découverte de produits alimentaires locaux. Ainsi, récemment, 10% des activités pratiquées par les Français et près de 14% de celles des Néerlandais dans notre région concernaient la découverte de ses produits du terroir et de sa gastronomie [4].

Au niveau européen, le constat n’est pas nouveau : dans un rapport basé sur l’étude de quatre destinations européennes ayant développé un tourisme plus durable basé sur leur patrimoine naturel et culturel, on peut lire que les touristes apprécient généralement le fait de pouvoir goûter des produits locaux, qu’ils peuvent assimiler à des produits plus frais, plus uniques (spécialités locales qu’on ne trouve pas forcément ailleurs) et plus authentiques (en phase avec la culture locale). Ce type de produits est de nature à enrichir l’expérience touristique [5].

L’inscription de la gastronomie française à la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité en 2010 [6] est de nature à renforcer l’attractivité de cette dimension de l’expérience touristique. Le patrimoine alimentaire local peut d’ailleurs faire l’objet de valorisation touristique intensive, comme le démontre par exemple la fraîchement inaugurée « Cité du vin » de Bordeaux, musée correspondant à un investissement de plus de 70 millions d’euros [7]. Véritable merveille, à ce qu’on dit, en termes d’interprétation du patrimoine, ce musée démontre qu’on peut raconter des tas d’histoires et créer un évènement à partir d’une production locale, même si celle-ci a essaimé à travers le monde. Et peu importe si le goût du vin ne plait pas à tous : l’objectif, pour le directeur du musée (un ex- du fameux Futuroscope de Poitiers), était de faire passer un bon moment à tous, y compris à ceux qui confonde un Château margaux avec du jus de raisin [8]. Cet exemple est choisi non pas pour prétendre que le vin, même local, soit une production durable [9], mais parce qu’il illustre une des façons dont ce type de patrimoine peut être valorisé. Pour s’inscrire dans une démarche de durabilité, il serait adéquat que ce musée présente des modes de productions du vin qui soient plus durables [10] .

Si la France est un exemple particulièrement emblématique cette richesse au niveau de la diversité et de la qualité des produits alimentaires, des préparations et du rituel qui accompagne les repas, les autres pays ne sont pas en reste par rapport aux possibilités de valorisation de leur patrimoine sur ce plan. Chaque pays ou région peut, en général, se prévaloir d’un savoir-faire en termes d’agriculture et de préparation des aliments locaux. Des connaissances et compétences parfois ancestrales qui devraient pouvoir être maintenues et valorisées à travers le tourisme. Par exemple, certains disent que notre traditionnel genièvre est à l’origine du gin, ce célèbre alcool anglais. L’histoire raconte que cette boisson portait à l’origine le nom de « courage hollandais » et qu’elle avait été ramenée en Angleterre par des mercenaires lors de la guerre entre les Hollandais et les Espagnols au XVIIe siècle [11].

Alors, puisque l’on sait que les touristes sont intéressés par le patrimoine « alimentaire » local, que ce patrimoine véhicule des histoires à raconter, qu’il peut dans certaines conditions être meilleur pour la santé, pour l’environnement et pour l’économie locale, pourquoi les hébergements touristiques (et leurs restaurants) ne s’engagent-ils pas davantage dans la voie de la valorisation de ce type de produits alimentaires locaux ?

Certes, certains hébergements touristiques répondent à cette demande en offrant des produits locaux de qualité et produits de façon durable. Ainsi, par exemple dans le réseau des labellisés Clé Verte (ou Green Key), des gîtes ou des hôtels en Wallonie et à Bruxelles proposent à leurs clients ce type de produits. Ailleurs, notamment en France et en Finlande, d’autres établissements adoptent ce type de démarche. Cependant, la plupart des établissements semblent éprouver des difficultés à le faire et il paraît il y avoir un décalage entre les bénéfices escomptés de cette pratique pour les acteurs d’un territoire et la fréquence avec laquelle elle est mise en œuvre.

Dans le cadre de la labellisation Clé Verte à Bruxelles, un projet de promotion d’une alimentation plus durable dans les hôtels bruxellois a été mené entre octobre 2014 et avril 2015. Soutenu par la Commission communautaire française, trois partenaires y ont été associés : Inter-Environnement Wallonie (IEW), la Brussels Hotels Association (BHA) et Biowallonie. Le projet visait à promouvoir des pratiques plus durables en les testant dans trois hôtels pilotes situés à Bruxelles, en échangeant sur base de cette expérience avec un panel de responsables dans des hôtels bruxellois pour valider les pistes de solutions et les freins identifiés. Le but ultime étant de proposer, sur base des enseignements de ce projet, de nouveaux critères en matière d’alimentation au niveau de la labellisation Clé Verte / Green Key. L’enjeu paraissait d’autant plus important que les hôtels bruxellois servent plus de 6 millions de petits déjeuners par an.

Dans ce cadre, les entraves suivantes ont été évoquées dans les possibilités d’offrir aux clients une alimentation d’origine locale de qualité et produite de façon plus durable :
- Dans de nombreux hôtels appartenant à des groupes internationaux, les fournisseurs de boissons et d’aliments sont choisis au niveau de la chaîne et les hôtels reçoivent une liste de fournisseurs « préférentiels », avec qui des contrats cadre sont généralement établis pour une durée d’au moins un an (et plus dans certains cas) ; selon le groupe concerné, la flexibilité est plus ou moins importante quant au choix de travailler avec des fournisseurs qui ne figurent pas sur cette liste (par exemple des fournisseurs locaux) ;
- Souvent, des standards sont établis au niveau des buffets (un certain nombre d’aliments requis – parfois jusqu’à 120 items !), ce qui oblige l’établissement à acheter des aliments d’origine non-locale ;
- Dans de nombreux hôtels, certains aliments sont des « incontournables » des buffets, quelle que soit la saison ; par exemple, la tomate, le concombre, les fruits rouges ou les asperges ; ces aliments ne sont bien sûr pas d’origine locale à de nombreux moments et dans de nombreux endroits ;
- Une série de restaurants (y compris ceux qu’on trouve dans des hôtels) ont l’habitude de travailler avec des 4è gamme ou 5è gamme d’aliments (fruits ou légumes crus ou cuits, déjà lavés, épluchés, égouttés, coupés, et conservés selon des règles strictes) ; il leur faudrait donc pouvoir trouver l’équivalent en produits locaux ;
- Dans nombre de cas, l’origine des aliments servis n’est pas indiquée au client, ce qui ne lui permet pas de choisir en connaissance de cause et de faire une discrimination positive ;
- Les problèmes liés à la traçabilité des ingrédients ou des aliments : par exemple, en ce qui concerne les poissons, il semble généralement très difficile pour le personnel des hôtels de savoir d’où proviennent les poissons ; on peut aussi considérer un aliment comme étant local, et découvrir ensuite que ses ingrédients ne le sont pas (par exemple, la bière).
- Le prix semble être un facteur important au niveau du choix du produit (le critère de durabilité s’impose ensuite ou à offre de prix égale) ;
- Plusieurs établissements témoignent de la difficulté de trouver des fournisseurs locaux ; certains listings existent [12] mais les établissements ne les connaissent souvent pas ;
- Certains hôtels ont tenté l’expérience (de travailler avec des producteurs locaux), mais ceux-ci ne sont pas arrivés à fournir les quantités et la qualité requises ; la quantité de couverts dans les restaurants ou les buffets influence la capacité à fournir du local ;
- Enfin, les établissements ne disposent pas nécessairement des outils ou des critères leur permettant de s’assurer qu’un choix plus local est effectivement bon pour la santé et durable.

Parmi les solutions et les leviers mis en évidences, les éléments suivants ont été évoqués :

- Certains établissements perçoivent clairement la demande des clients pour plus de qualité (versus la quantité) et pour du local ;
- Il y a une volonté ressentie chez certains chefs de se mettre ensemble pour créer une demande groupée : par exemple, en matière de poissons durables et locaux ;
- Les menus sont généralement proposés par le chef, ou parfois en collaboration avec le personnel de salle qui fait remonter les demandes des clients (indépendamment de la chaîne) et c’est la direction et le service achats qui prend la décision finale, ce qui donne une certaine marge de manœuvre au niveau local ;
- Il existe des initiatives positives et innovantes dans certains hôtels qui peuvent essaimer via la communication et la mise en réseau : par exemple, la production d’aliments dans l’enceinte de l’hôtel, même en milieu urbain (potager de plantes aromatiques, ruches sur les toits, etc.), l’achats de poissons via le « panier du pêcheur » (pratique permettant d’utiliser des produits plus locaux, de saison et d’éviter du gaspillage alimentaire), l’information sur l’origine des aliments affichée sur le buffet, l’achat d’un animal complet chez un fournisseur local (pour autant que l’hôtel ait son atelier de boucherie) ;
- La thématique de l’alimentation durable intéresse d’autres acteurs ; des initiatives organisées par des autorités publiques ou des associations permettent aux hôtels de mettre un pied à l’étrier et d’oser l’innovation : la semaine bio, par exemple, à laquelle plusieurs hôtels participent permet de nouer des contacts et de tester de nouveaux fournisseurs ; ou Brusselicious, année de la gastronomie locale à Bruxelles (en 2012) ayant permis aux hôtels de la capitale de tester l’insertion de produits locaux dans le cadre de certains repas [13].

En guise de conclusion, quelques réflexions :

Nous pourrions dire que la dimension culturelle est déterminante. L’alimentation durable et locale a le vent en poupe et on peut s’imaginer que la demande croissante des citoyens et des clients permettra aux établissements d’oser davantage des solutions innovantes qui pourront ensuite se répandre dans le secteur et devenir pratiques courantes [14].

Cet engouement pour les aliments d’origine locale, se manifeste clairement en dehors de la sphère touristique, comme en témoignent le développement de points de ventes de produits en circuits courts et les nouvelles dispositions prises par certaines grandes surfaces pour mettre en valeur les produits locaux (par exemple chez Carrefour).

Actuellement, on est face à une « culture » dans le secteur hôtelier qui impose certains standards et pratiques (comme par exemple des buffets très variés et garnis), mais il se peut qu’il y ait un décalage entre la perception de la demande par les gestionnaires et ce qui est réellement voulu par les clients : par exemple, dans un hôtel à Bruxelles, les clients ont fait savoir au personnel de salle qu’il faudrait rajouter de la soupe à l’oignon au menu (recette d’origine locale) alors que les directions données par le groupe imposent qu’il y ait systématiquement du saumon et du steak sur la carte (aliments à priori d’origine non-locale).

Il faudrait que les restaurants puissent se donner une certaine marge de manœuvre par rapport aux pratiques habituelles et oser proposer aux clients de l’inédit, ce qui permettrait de mieux prendre en compte les réalités de la production locale et de rendre au producteurs locaux une place plus juste au niveau des circuits d’échanges.

Enfin, les établissements devraient disposer des outils et des moyens pour pouvoir opter consciemment pour du local véritablement durable et bénéfique à la santé.

Crédit photographique : Green Key International

notes :

[2Voir à ce sujet l’article sur : http://www.iew.be/spip.php?article7804

[3Source : Atout France / GMV conseil, 2011

[4OTW – TNS Sofres, Sondage clientèle tourisme wallon, 2014, cité dans « La promotion du développement du tourisme durable en Wallonie », article écrit par Wallonie-Bruxelles Tourisme pour Les Cahiers du Tourisme sur le Tourisme durable, Juin 2016

[5« Using natural and cultural heritage to develop sustainable tourism », European Commission, 2002.

[7« A Bordeaux, une prodigieuse cité du vin », le Courrier international, n°1348 du 1er au 7 septembre 2016.

[8Ibidem.

[9Notamment de par le fait que des produits chimiques sont généralement utilisés de façon intensive lors de la production du vin, en dehors des productions bio, ce qui affecte bien sûr la santé des consommateurs et des viticulteurs.

[10Ce qui est peut-être le cas (nous ne disposons pas d’information à ce propos).

[11« Au royaume des saveurs méconnues », Le Soir, 14 septembre 2016.

[12Notamment ceux qui ont été proposés en annexe du Guide de bonnes pratiques en alimentation durable, par l’asbl Biowallonie, cfr http://www.cleverte.be/spip.php?rubrique9

[13https://visit.brussels/binaries/content/assets/pdf/dossier_thematique_its_brusselicious.pdf

[14Comme ce fut le cas avec la pratique qui consiste à ne faire nettoyer les essuies et les serviettes que sur demande : cette pratique était exceptionnelle il y a 15 ans et est véritablement rentrée dans la culture du secteur hôtelier.