Qui sommes-nous? Suivez-nous sur Facebook
Notre environnement - Air extérieur - Comprendre
Diesel et oxydes d’azote : histoire d’une dérive
par Pierre Courbe - 8 décembre 2014

« En dépit d’améliorations considérables au cours des dernières décennies, l’Europe est encore loin d’atteindre des niveaux de qualité de l’air qui ne fassent pas courir des risques inacceptables aux humains et à l’environnement. » C’est en ces termes que débute le récent rapport 2014 sur la qualité de l’air en Europe de l’Agence européenne pour l’environnement (EEA pour European environment agency). L’EEA ajoute que « Cela constitue une perte substantielle pour l’Europe : pour ses écosystèmes, son agriculture, son économie, la productivité de ses forces de travail et la santé des Européens. »

En termes d’impacts sur la santé humaine, les polluants qui sont les plus problématiques pour le moment sont les particules fines (PM) dont nous avons déjà abondamment parlé dans nIEWs et l’ozone troposphérique (O3), suivis par le benzo(a)pyrène (un indicateur des hydrocarbones aromatiques polycycliques(HAP)) et le dioxyde d’azote (NO2). C’est de ce dernier polluant et du rôle que jouent les moteurs diesel dans ses émissions qu’il sera question ci-dessous.

Oxydes d’azote et santé

Les oxydes d’azotes (NOX) incluent le monoxyde d’azote (NO), le dioxyde d’azote (NO2) et le tétraoxyde d’azote (N2O4). Le NO2 est particulièrement nocifs pour la santé. Il peut affecter le foie, les poumons, la rate et le sang. Il produit notamment une réaction inflammatoire au niveau des voies aériennes et peut aggraver les maladies pulmonaires.
Ce sont principalement le NO et le NO2 que l’on retrouve dans les gaz d’échappement. Une petite partie des NOX est directement émise sous forme de NO2, typiquement comprise entre 5% et 10% pour un moteur à essence. Les moteurs diesel, en particulier les plus récents (Euro 4, 5 et 6), peuvent émettre jusqu’à 50% de NO2. Des études épidémiologiques ont montré que les symptômes de bronchites chez les enfants asthmatiques augmentent avec l’exposition à long terme au NO2. Une réduction de la fonction pulmonaire est également liée à des concentrations de NO2 couramment rencontrées dans les villes européennes. Par ailleurs, les oxydes d’azote jouent un rôle majeur dans la formation d’ozone (O3).
La directive sur la qualité de l’air (directive 2008/50/CE – la législation européenne est consultable ici) fixe deux valeurs limites de concentrations de NO2 pour la santé humaine (court terme : un jour et long terme : une année) ainsi qu’un seuil d’alerte sur une heure. Une valeur limite est également fixée pour la concentration en NOX (définie comme la somme de NO et de NO2) pour la protection des écosystèmes.

Des normes inopérantes

Les émissions d’oxydes d’azote des véhicules routiers sont soumises aux normes Euro. La norme Euro 3 (entrée en vigueur 2000) fixait la limite à 0,5 grammes par kilomètre roulé (g/km). Dans les faits, les voitures diesel euro 3 émettaient en moyenne environ 1 g/km. Pour Euro 4 (entrée en vigueur : 2005), le fossé se creusait : norme à 0,25 g/km, émissions réelles à 0,8 g/km. Avec Euro 5 (2011), les choses s’empiraient encore : 0,18 g/km en théorie, 0,8 g/km en pratique. Et enfin, Euro 6 (entrée en vigueur en septembre 2014 – voir ici) confirme la tendance : 0,6 g/km sur la route pour 0,08 g/km en laboratoire en moyenne. Certains véhicules testés émettent jusque 80 fois plus d’oxydes d’azotes que la valeur limite.

Dans une étude récente couvrant l’Europe et les USA, l’ICCT (International council on clean transportation) a mis en évidence l’étendue du problème : les dépassements par rapport aux normes (qui sont respectées en laboratoire) sont observés des deux côtés de l’Atlantique.
Les tests menés par différents organismes utilisent des PEMS (portable emissions measurement systems : systèmes portables de mesure des émissions). Ils révèlent que les dépassements d’émissions ne sont pas dus à des conditions de conduite extrêmes. Ils sont plutôt dus à des épisodes d’accroissement temporaire de la charge sur les moteurs, typiques des conditions quotidiennes d’utilisation : accélération, légère côte, régénération des systèmes de post-traitement des gaz d’échappement.
La qualité de l’air constitue un problème de taille pour certains Etats membres européens. Ceux-ci ne peuvent maîtriser les concentrations de NO2 dans l’air ambiant, du fait des émissions trop élevées des voitures à moteur diesel. Dès lors, ils risquent d’être placés dans la situation paradoxale où la Commission européenne leur infligerait des astreintes … – en raison du non-respect de la législation par les constructeurs automobiles ! Constructeurs que certains Etats soutiennent, en raison de leur poids dans l’économie de ces pays… Cherchez l’erreur. Et cherchez surtout le principal dindon de la farce : la santé humaine.

La solution : les RDE
Certains véhicules testés respectent les normes. On peut donc en conclure, avec l’ICCT, que les technologies existent. Seule manque la volonté de les utiliser correctement. Les constructeurs, en effet, préfèrent en général calibrer les systèmes de dépollution en fonction des tests menés en laboratoire (peu représentatifs des conditions réelles d’utilisation et offrant de nombreuses échappatoires) – sans se tracasser de savoir si, une fois sur route, le véhicule respectera encore les normes Euro.
Comment sortir de cette situation et obliger enfin les constructeurs à utiliser correctement les technologies disponibles ? La solution consiste en la mise en place de tests en conditions réelles de conduite (RDE pour real-world driving emissions), à mener sur un nombre restreint de véhicules choisis aléatoirement. De tels tests, prévus par la législation européenne, devraient devenir contraignants à partir de 2017. Les constructeurs automobiles ont réussi à retarder le processus. Ils continuent à tenter d’affaiblir les dispositions futures, notamment en usant de l’arme classique : l’introduction d’échappatoires dans les procédures de test.

Dans un document d’analyse publié récemment, T&E liste les 10 principaux points d’attention pour le processus législatif en cours :

  1. Les tests devraient intégrer une série de conditions et de styles de conduite pour renforcer la conformité avec les conditions réelles : l’objectif est de diminuer les émissions sur les routes européennes, pas dans des conditions surréalistes.
  2. Les limites à ne pas excéder, qui s’appliqueront à partir de 2017, ne devraient pas dépasser les limites Euro 6 (fixées pour des « conditions de conduite normales ») sous peine de dépassements des seuils de concentration fixé »s dans la directive sur la qualité de l’air.
  3. Il faudrait introduire un facteur aléatoire dans les types de parcours choisis pour réaliser les tests afin d’éviter tant que faire se peut une « optimisation » de ceux-ci par les constructeurs.
  4. Les RDE devraient utiliser les PEMS pour tous les polluants (une proposition alternative, consistant en des tests sur banc d’essai pour certains polluants, ouvrant la voie aux dérives déjà observées avec les tests actuels).
  5. Les données issues de l’unité centrale de contrôle du moteur (ECU pour engine control unit) ne devraient pas constituer la principale source de donnée pour les tests.
  6. Les données ne devraient pas être normalisées pour tenir compte du style de conduite sans évaluation préalable de l’impact de la normalisation sur les mesures PEMS. Si normalisation il devait y avoir, on ne devrait pas utiliser d’autre outil informatique que le logiciel EMROAD (laisser libre le choix d’autres outils discréditerait le test).
  7. Vu la fréquence, dans la vie réelle, des petits trajets avec moteurs froids, ceux-ci devraient être inclus dans les tests.
  8. Les émissions durant les cycles de régénération des systèmes de dépollution devraient être incluses.
  9. Les corrections en fonction de l’humidité et d’autres facteurs climatiques devraient être évitées, vu la grande variété de conditions climatiques existant en Europe.
  10. Les données ne devraient pas être considérées comme nulles dès que le moteur est coupé, vu la présence d’émissions résiduelles dans la ligne d’échappement.

Enfin, il faut savoir que les tests PEMS sont significativement moins chers que les tests sur bancs d’essai si l’on intègre les coûts de fonctionnement des laboratoires. Dès lors, les tests peuvent être réalisés sur un nombre important de véhicules avec des coûts limités.
Puissent ces points d’attention être présents à l’esprit de toutes les personnes impliquées dans le processus législatif – et puissent celles-ci être constamment conscientes que le but du processus est d’éviter des dizaines de milliers de morts par an en Europe.

Voir aussi :
Pour un environnement sain : un nouveau dossier d’IEW vient de paraître
par Alain Geerts - 7 décembre 2016
Pour une environnement sain. Susciter le changement pour diminuer l’exposition à la pollution de l’air et aux perturbateurs endocriniens est le (...)
Les rues « canyons », des hotspots locaux de pollution de l’air
par Alice Burton - 29 juillet 2016
La pollution de l’air constitue un problème majeur dans la société actuelle, tant sur le plan environnemental que sur un plan sanitaire. Les (...)
L’OMS adopte une résolution historique sur la pollution de l’air
par Alain Geerts - 2 juin 2015
L’Assemblée mondiale de la Santé qui vient de se terminer a pris plusieurs « résolutions et décisions historiques » dont une sur la pollution de l’air. (...)
1.460.000.000.000 d’euros : le coût annuel de la pollution de l’air en Europe !!
par Fil d’infos et actualité - 28 avril 2015
Selon la première étude réalisée à ce sujet pour la Région européenne de l’OMS, le coût économique des quelque 600 000 décès prématurés et maladies (...)
Le soleil brille. « Les enfants, on reste à l’intérieur !! »
- 8 avril 2015
Le printemps est là, le soleil revient... et la pollution de l’air aussi ! C’est le même scénario chaque année, et les mêmes questions, et les mêmes (...)
Les aéroports, source importante de pollution de l’air
par Alain Geerts - 25 février 2015
La presse vient de récemment mettre en évidence les résultats d’études portant sur la pollution de l’air autour des aéroports en se concentrant plus (...)
Pollué, l’air de Bruxelles ? Non peut-être !!
par Alain Geerts - 13 février 2015
Ne manquez pas cette brève vidéo qui vous indique de manière claire et précise la médiocre qualité de l’air dans le quartier européen bruxellois et aux (...)
Inacceptable ! La CE retire les « paquets » air et économie circulaire
par Pierre Courbe - 16 décembre 2014
Nous venons de l’apprendre, la Commission Junkers vient de retirer le « paquet Air » et le « paquet Economie circulaire » qui visaient, le premier, à (...)
Villes, pollutions et santé : des solutions existent, mais...
par Fil d’infos et actualité - 7 juillet 2014
Le journal En Marche, édition nationale vient de paraître. Vous y trouverez une page environnement très bien documentée qui est consacrée à la (...)
L’avenir de la Wallonie serait « dans l’air » ? Donnez votre avis !
par Gaelle Warnant - 3 juillet 2014
Gros chantier de la précédente législature, le Plan Air-Climat-Energie (PACE) est soumis à enquête publique. Un document stratégique qui nous concerne (...)
 
fontsizeup fontsizedown
Participez au portail !
Actions
Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Espace privé | SPIP